L’histoire d’une amitié franco-canadienne
Un concours dans un calendrier ‘’Les Beaux Pays’’ que Mariette découvre plus particulièrement, à cause de son attirance pour la France et tout ce qu’elle représente : son art, son architecture, sa littérature. Une liste de noms dont on en choisit 4 avec une opération ‘’coquine’’ en se donnant un pseudonyme comme interlocutrice pour 3 d’entre elles. Deux ont retenu l’attention et obtenu réponse: la première ne durera pas; la deuxième sera le début d’une très longue correspondance, mais surtout d’une très longue amitié qui durera le temps d’une vie, de 2 vies, de plusieurs vies puisqu’elle se répercute sur une 2e et 3e génération.
Une amitié basée sur le désir de faire découvrir le Canada – le Canada français (on ne parlait pas encore du Québec) – son histoire, ses luttes, ses régions et ses coins du pays chers au cœur de Mariette.
Une amitié basée également sur les mêmes valeurs chrétiennes – catholiques – de foi et d’espérance.
Une amitié à distance qui évoluera de 1937 à 1969 où aura lieu une première rencontre chargée d’émotions. Des rencontres qui se poursuivront par la suite – 1974, 1975, 1976, 1993, 1995 – des rencontres mémorables où toute la complicité de l’une et de l’autre sera présente et où on découvrira même la similitude de leur caractère.
Des rencontres entrecoupées de correspondance ou de la correspondance entrecoupée de rencontres ? Et de la correspondance remplacée plutôt par des appels téléphoniques dont on n’a aucune trace – sauf quelque mention dans les lettres suivantes. Que se sont-elles dit ? nous ne le saurons pas.
Des rencontres et des échanges qui seront de plus en plus à sens unique. La maladie d’Alzheimer de Mariette diagnostiquée en 2000, mais avec une très longue et très lente descente, fera que le souvenir de Christiane et de Marie-France sera toujours bien vivant… les yeux pétillent à l’énoncé de leurs noms et ce, jusqu’à la fin de 2010, où là tout bascule : la mémoire de Mariette est éteinte.
La richesse de cette correspondance – malgré ces moments de silences – nous montre les préoccupations de deux jeunes femmes à la fin de l’adolescence, jeunes mariées, mères et grand-mères. Elle nous montre leurs rêves, leurs aspirations, leurs intérêts, leurs études, leurs passions. Elle nous présente également les peines, les deuils, les inquiétudes. Elle nous montre une page d’histoire – des pages d’histoire en nous ‘’racontant’’ la guerre, l’après-guerre, les privations, les conflits, les grèves. Elle raconte l’histoire de nos familles, de nos parents, de nos frères et sœurs, de nos oncles et tantes, de nos voisins et amis. D’une certaine façon, nous faisons un pèlerinage dans notre mémoire. Et cette mémoire est partagée du côté canadien – québécois – et du côté français.
Nous vous invitons à la découvrir.
Madeleine
**************************************************************************
Agée de 17 ans, en cette année 1937, Christiane, ma mère, vivait en Seine et Oise, chez ses parents, d’origine modeste.
Elle avait participé à un concours organisé par les éditions Arthaud, « Les Beaux Paysages » et faisait partie des lauréats. Dans la liste des lauréats, parue aussi au Québec, Mariette choisit au hasard plusieurs noms et elle écrivit comme on lance une bouteille à la mer, avec espoir… Christiane reçut cette lettre avec étonnement, non sans que ma grand-mère ait eu auparavant vérifié le contenu de cette missive, on ne sait jamais…. Une jeune fille bien élevée ne peut pas tout recevoir….
Ma mère se prit au jeu d’y répondre, à la grande joie de Mariette et petit à petit, une correspondance s’est installée.
1939 : la guerre éclate. Dès 1940, cette correspondance s’arrête : envois impossibles, censure sans doute, lettres perdues, ces années restent silencieuses et les deux nouvelles amies vont chacune de leur côté poursuivre leur route de femme : mariage, premières maternités, épreuves douloureuses… Il faudra attendre septembre 1944 pour qu’une lettre de Mariette arrive enfin en France.
Leur correspondance reprit, entrecoupée de longs silences : les naissances, la maladie, les deuils, les difficultés du quotidien ont parfois tellement pris le dessus… Chaque fois, elles ont réussi à reprendre leurs plumes, s’inquiétant du sort de l’autre, ou la grondant gentiment …
A ma naissance, en 1953, Christiane a demandé à Mariette d’être ma marraine, elle a accepté avec émotion. Leur amitié s’en est trouvée revigorée…
Au fur et à mesure que nous grandissions, nous, les enfants de Mariette et de Christiane, nous nous sommes essayés à une correspondance bien moins suivie que celle de nos mères ! Je commençais aussi à écrire à Mariette.
1969 fut une année marquée de mille pierres : ce fut le premier voyage de Mariette et Lucien en France. Je m’en souviens comme si c’était hier : l’émotion contenue de Christiane et de Mariette, la discrétion et la connivence des deux maris, mon émerveillement devant cette marraine qui m’arrivait d’Amérique !
Les années suivantes, avec le téléphone, elles ont commencé à moins s’écrire, mais elles ont pris goût aux échanges culturels, et nous, leurs enfants, avons attrapé le virus du voyage !
Nos mères respectives ne se doutaient pas des rebondissements qui allaient suivre….
Les années passèrent, avec, dans nos deux familles, leurs lots de joies, de deuils, de naissances, de mariages… D’autres voyages, dans un sens ou dans l’autre, ont enrichi nos amitiés. Puis la maladie d’Alzheimer commença à s’inviter dans la vie de Mariette petit à petit, l’isolant de ce monde qu’elle aimait tant.
Malgré tout, à chacune de mes visites au Québec, Mariette me reconnaissait, ou plutôt reconnaissait Christiane dans mes traits. Et quand nous croisions quelque personne, dans la Résidence où elle vivait, elle annonçait fièrement « C’est ma filleule de France » !
De son côté, Christiane vieillissait aussi, de plus en plus fatiguée et fatigable. Mais à l’inverse de Mariette, elle conserva ses facultés mentales jusqu’au bout. Ce fut d’ailleurs pour elle une souffrance de ne plus pouvoir échanger avec Mariette, comme elles l’avaient fait pendant toutes ces années.
Christiane décéda en octobre 2010, et Mariette en octobre 2011. Elles avaient respectivement 90 et 92 ans.
En février 2005, j’avais emporté avec moi, à Montréal, les lettres de Mariette confiées par Christiane. Madeleine, la fille aînée de Mariette, de son côté, avait retrouvé celles de ma mère : nous nous sommes plongées avec Marie et Madeleine, dans une lecture émouvante, au fil des pages parfois jaunies.
Tant de souvenirs qui sont remontés du fond de notre mémoire, mais aussi découverte de deux jeunes filles, de deux pays à travers elles, d’une époque avec ses idées, son éducation, d’une Histoire mêlée à leur histoire, d’une amitié qui ne s’est pas éteinte…
Cette émotion, nous voulons la partager maintenant avec vous.
Marie-France